Les artéfacts | Briseur de glace

Cette fleur de glace éternellement gelée a été cueillie par des mains délicates. D’aucuns prétendent qu’elle leur permet d’embrasser le froid.

“Cette quatrième fresque a été préparée à ton attention. À jamais ton image demeurera gravée sur ce mur. Pour cette fresque, pour tout le monde, je resterai là à t’attendre, priant pour ton retour…”

La jeune fille se tenait devant le mur blanc, et posa une fleur délicate sur le torse du guerrier en souriant. C’était une personne élégante et tranquille, même face à la mort et au désespoir. Ses actes héroïques furent oubliés et emportés par les blizzards du nord; mais lorsqu’enfin fondirent les neiges et s’essoufflèrent les vents glacés, la fleur était toujours là, aussi éclatante qu’au premier jours.

La plume d’un rapace qui n’appartient pas à l’hiver mordant. Elle est froide au toucher. On peut presque entendre en la prenant en main des cris s’élevant dans la tempête de neige, insoumis mais condamnés. Sans nid ni abri où se reposer, l’oiseau fait fièrement face à la tempête. Cette plume a subi l’assaut de la neige et du gel, qui l’a recouverte de perles de givre.

Elle ornait autrefois le corps d’un faucon, mais en fut arrachée par les vents glacials. Longtemps, elle erra au hasard dans les airs, puis finit par rejoindre le sol sous l’action du poids du givre la recouvrant.

“J’ai confiance que les oiseaux te suivront, et retrouveront le chemin des luxurieux jardins du palais d’été. Ceux qui furent chassés par le froid cruel, tous les enfants qui n’ont plus de foyer, reviendront grâce à toi dans le nid.”

Le guerrier, sur les épaules duquel reposait un poids si important, s’immobilisa dans la neige virevoltante, cherchant à deviner la couleur de la plume. Prise dans sa gaine de glace, elle allait accompagner le héros dans sa quête, perdant un peu plus ses couleurs à chaque pas.

Un sablier antique dans lequel s’écoule de la fine neige poudreuse. Même le plus froid des hivers ne peut arrêter le temps.

“Le froid venu du ciel peut même geler le temps.” Ce mythe fut longtemps répandu dans les hameaux enneigés de la montagne.

La nuit était déjà tombée quand le héros traversa le mur de vents déchaînés et de rafales glaciales. Ni la lumière du soleil ni le clair de lune ne peuvent pénétrer le vent pâle. Même le plus intense de tous les blizzards ne peut figer le cours du temps, quand bien même la cité est prisonnière de la neige. Et même le plus grand des héros finit par tomber dans l’oubli.

L’étranger, qui trouvait de l’espoir pour les autres, buvait à une coupe sculptée dans la glace. Boire le vin amer de cette coupe était semblable à avaler un essaim de piques gelées piquant chaque recoin de la gorge. Les gens ordinaires auraient eu du mal à apprécier ce goût si particulier; mais l’homme taciturne en tirait un grand plaisir.

Le guerrier, aussi silencieux que la neige, bloquait de son corps les vents mordants déversés par les étoiles. Mais la demoiselle qui peignait, qui ne pouvait se contenter d’être protégée, laissa à celui qu’elle admirait ces ultimes recommandations:

“Si la crainte et le désespoir, deux sentiments qui sont dans notre nature, t’accablent ou t’empêchent à jamais de revenir… Alors, je t’en conjure, vis. Ne t’éteins pas à notre suite, languissant pour toujours sous le silence gelé.”

Avalant une nouvelle gorgée de vin pour se donner courage face au périple qui l’attendait, l’homme détourna le regard des yeux humides de la jeune fille. Et c’est ainsi qu’il partit pour un voyage sans fin vers les profondeurs enneigées.

Emportant avec lui le faible espoir de salut d’un royaume entier, le héros commença son périple. Portant la couronne de l’hiver, il disparut d’un pas décidé, s’enfonçant jusqu’à disparaître dans l’incessante tempête glacée. Protégé par le pacte qui l’unissait avec le royaume de la montagne et son peuple aux yeux clairs, jamais le héros ne craignit l’inconnu qu’il rencontra derrière le rideau de glace. Les paysages autrefois luxuriants qu’offrait la montagne, les bénédictions qui avaient cessé de tomber du ciel – voilà pourquoi se battait l’homme, et pourquoi sa volonté ne faiblissait pas.

“Franchissant la porte gelée, et s’enfonçant dans le profondeurs des vallées.”

“Il brisera la branche argentée, et redonnera espoir au royaume enneigé.”

Ainsi chantait la demoiselle, souhaitant apporter quelque réconfort à son peuple, et chérissant les souvenirs qui les unissaient. Elle était convaincue qu’il lui reviendrait, porteur d’espoir et de la chaleur du printemps. Mais le guerrier qui avait disparu dans la tempête ne put revenir à temps. Polie par le temps, une haine tenace continue de lui reprocher à tort sa “fuite”…